« Fluides »
Sans compter les pots cassés !
Après l'univers religieux, les chimères, l'immensité océane, le fer, l'acier, le bois, Francis Guyot retrouve la terre nourricière. De l'argile, il fait jaillir d'étonnantes fontaines où l'eau se surprend à remonter son cours.
Hier encore, il explorait les contours d'une humanité chancelante, dessinant les travers d'un corps ployé sous la douleur ou exultant le bonheur consumé au cœur d'arborescences, quand les branches s'enlacent et que les troncs puissants s'effacent sous les rondeurs esquissées à la gouge... Depuis, il a martelé le métal, rapporté de voyages rêvés les flammes blanches comme autant de voiles d'une Armada gagnant les nouveaux mondes. Il a peint le tissu en mille figurines et soudé dans l'acier des hommes oublieux pour des nations heureuses. Il a vécu autant de vies qui hantent désormais ici l'ombre d'alcôves, ailleurs la gravité suintant les siècles et l'histoire du chœur des cathédrales. Il fallait bien qu'un jour, enfin, il retourne à la source et puise en ses racines originelles la matière à fabriquer un peu de l'univers.
Dans la cour de sa maison rurale où dorment quand il fait soleil son vieux chien et un homme pensif creusé au tronc d'un chêne, gisait en débris un antique pot de terre, restes succombés d'un combat supposé contre un géant de fer. Il y avait là le souvenir de famille, une part de son enfance. Il décida qu'elles revivraient, miracle d'une recréation qu'il travailla dans le secret de son laboratoire. L'œuvre naissante alla ensuite rejoindre une place à sa taille entre un canapé de velours et un bahut solide comme autrefois : drôle d'objet suspendu, cruche élevée dans l'air d'où s'échappait un sang rouge qui n'en finissait pas de couler vers le sol y étalant les contours d'une flaque immobile. L'image de Moïse et d'une mer absurde, peut-être.
A moins que ce ne soit l'inverse.
Claude AUMON