« L'âme du bois »

Ce jour-là, il pleuvait, ou le ciel était gris,
Il fallait au soleil déployer des convictions de courage pour franchir la barrière mauve. Là-haut.

Dans la pelouse, un géant de bois, assis, le front dans les paumes, le regard penché sur lui-même.
L'atelier était ouvert, et l'on percevait, loin,
le gémissement acide de la tronçonneuse, les grincements écorchants de la langue râpeuse des ponceuses.

Il s'élevait du lieu comme un cri au milieu du silence dont se seraient effarouchés les merles, hôtes habitués des fruitiers alentour.
L'homme n'apparaissait, derrière son établi, qu'au gré de la lumière et des envolées de poussière qui le faisaient tousser parfois. Et sous la main et la machine, qui était sa suite naturelle, l'écorce de l'orme éclatait pour se découvrir des rondeurs nacrées, des élancements, une sensualité de contours et de sinuosités frémissantes.

Malgré l'incessant tintamarre. Il fallut que l'ombre du visiteur se projetât sur le travail qui s'accomplissait.

Il leva enfin les yeux, se débarrassa du masque protecteur, balaya d'un revers du bras les scories accrochées aux cheveux... Il y avait de la sueur sur son front, l'accouchement difficile d'une création à construire.

C'était alors la sveltesse d'une femme émergée d'un tronc d'abricotier. Il lui livrerait, plus tard, comme on ouvre un coffre aux sept clés, la chambre cachée.
Là où, la nuit, respirent les branches tendres, se cognent et se craquent, et bruissent comme une armée insolite, la rondeur d'un buste et la faim au Sahel, une poire à croquer, des montagnes acérées. Un couple à jamais rassemblé, et qui s'aime. Un Christ qui, dit-on, allongé expirant sur les genoux de sa mère, se relève pour sourire l'avenir.

Le matin, lorsqu'il ne part pas vers Targé, la mallette à guérir tous les maux à ses côtés, l'homme songe.
Au tilleul du jardin du curé. Au framboisier géant de la cousine Chloé.
Il rêve.
Leur dessine, dans l'espace, une autre éternité.
 
CLAUDE AUMON

 

 

 

« L'âme du bois »

Ce jour-là, il pleuvait, ou le ciel était gris,
Il fallait au soleil déployer des convictions de courage pour franchir la barrière mauve. Là-haut.

Dans la pelouse, un géant de bois, assis, le front dans les paumes, le regard penché sur lui-même.
L'atelier était ouvert, et l'on percevait, loin,
le gémissement acide de la tronçonneuse, les grincements écorchants de la langue râpeuse des ponceuses.

Il s'élevait du lieu comme un cri au milieu du silence dont se seraient effarouchés les merles, hôtes habitués des fruitiers alentour.
L'homme n'apparaissait, derrière son établi, qu'au gré de la lumière et des envolées de poussière qui le faisaient tousser parfois. Et sous la main et la machine, qui était sa suite naturelle, l'écorce de l'orme éclatait pour se découvrir des rondeurs nacrées, des élancements, une sensualité de contours et de sinuosités frémissantes...